Skip to main content

Le Modèle de Développement


Le Modèle de Développement Asiatique est-il possible en Haïti ?

by Emmanuelle Gilles




L e miracle asiatique est le produit ressort d’un modèle économique qui a épaté non seulement les occidentaux mais les grandes institutions financières internationales. Il y a lieu d’investiguer les causes profondes de ce miracle économique. Peut-être y aurait-il une leçon que nous pouvons en tirer ?


Les divers facteurs qui ont influencé ce miracle dans les 8 économies asiatiques à plus grande performance (Japon, Hong-Kong, Singapour, République de Corée, Taïwan, Indonésie, Malaisie, Thaïlande) sont à la fois d’ordre culturel, géopolitique, social, colonial et gouvernemental. On aura remarqué que ces pays particulièrement la Chine et le Singapour sont loin d’être des Etats démocratiques. Pourtant, ils démontrent clairement le développement économique ne saurait être nécessairement une variable dépendante de la démocratie. Il ne s’agit pas du tout de régimes répressifs du type des dictatures que l’on a connues chez nous. Dans ces pays, la croissance va de pair avec une distribution équitable de la richesse nationale contrairement à ce qui se passe en Amérique Latine ou ailleurs. Leur succès repose surtout sur le respect des "lois fondamentales" de l’économie à savoir : une bonne gestion macro-économique (faible inflation, équilibre extérieur et intérieur, haut niveau de l’épargne et promotion du capital humain).


Facteur Culturel :
D’un point de vue culturel, les Asiatiques sont plus enclins à se soumettre à l’autorité de l’Etat que nous, particulièrement les Singapouriens, les Malaisiens et les Coréens. Ce dirigisme étatique n’a pas propulsé des rebellions au niveau des peuples. La soumission à l’autorité permet à ces gouvernements d’asseoir leur autorité et de faire passer leur programme politique et économique dans une rigueur imposée à et acceptée de tous. Les Asiatiques ne sont-ils pas fiers des résultats après tout ? Ce fonds culturel a permis à l’autoritarisme de bien s’installer. On peut dire que le dirigisme étatique avait beau jeu car l’Etat pilote le développement de ces pays, et décide des secteurs industriels à promouvoir dans le but de l’exportation. En effet, les clivages sociaux en Asie sont différents de ceux de l’Amérique latine. Ils n’ont pas les oligarchies qui monopolisent toutes les richesses du pays. Alors que l’Amérique Latine était en ébullition dans les années 70, les pays Asiatiques assuraient leur transition en douceur.


Facteur Géopolitique
On peut affirmer que le despotisme Asiatique était un despotisme éclairé car ces transformations au niveau économique dans la région en témoignent malgré les rigueurs de la dictature. Un paramètre important à noter, c’est le phénomène colonial. Entre autres exemples, l’occupation japonaise de la Corée du Sud a eu impact positif tant sur ce pays qu’a l’échelle régionale. Evidemment, l’orgueil national en Chine et en Corée du Sud en est sorti flétri. Cependant il n’en demeure pas moins vrai que le Japon a présidé à l’essor industriel dans ses colonies asiatiques. De ce fait, l’expérience coloniale dans cette région était entièrement différente de celle de l’Amérique latine et des Caraïbes avec les Européens. En Corée du Sud, par exemple, il n’y avait pas de rupture brutale avec les japonais qui sont restés dans ces pays alors que chez nous c’était différent. En outre, la puissance coloniale était très présente dans le processus d’industrialisation. Ses expériences et son expertise ont été mises à profit. La soumission qui est liée à ce dirigisme étatique ne constituait pas un problème même si tout était contrôlé par l’Etat et que même les syndicats n’étaient pas tolérés. L’Etat pouvait alors monopoliser la politique et l’économie fort heureusement pour le succès de ces pays et de leur peuple. D’ailleurs, dans des pays comme le Singapour, même pour les innovations technologiques, c’était l’Etat qui décidait dans quel secteur de l’économie investir et il soutenait les industries jusqu’au temps de leur maturation. L’industrie de Singapour est orientée spécialement vers l’exportation. Il n’existe pas de ports au monde opérant avec autant d’efficacité. Ils ont déployé leurs efforts dans le développement d’une main d’œuvre de qualité sachant qu’ils ne pourront pas avoir une croissance économique sans investir dans leur capital humain.


Modernisation Politique et Economique
La thèse de la modernisation en économie et en politique qui stipule que pour être une économie libérale, il faut adopter un système démocratique, ne tient plus car les asiatiques maintenant ont prouve le contraire et ont donne la preuve qu’il était possible d’avoir une économie libérale sans démocratie. On peut donc avoir un pouvoir autoritaire et une économie avancée. Au niveau de la croissance, la plupart de ces pays connaissent des taux de croissances très élevé. Au Singapour, comme dans d’autres pays de la région, l’Etat a mis en œuvre une économie d’industrialisation rapide fondée sur l’exportation, ce qui a permis une croissance très rapide de l’économie. Le rôle des pouvoirs publics dans la mise en œuvre de cette stratégie a été particulièrement décisif. Ils ont non seulement créé des entreprises publiques mais ils ont mis en place des organismes spécialisés pour bien les gérer. La plupart de ces pays connaissent des taux de croissance très élevés entre 6 à 10% par an alors que la croissance oscille en Europe entre 0,5% et 3%. La guerre froide a aussi joué un rôle qui a permis à ces pays de se doter de capitaux du Japon et des USA. Ces capitaux arrivaient en masse, ce qui a contribué au décollage économique et technologique de ces pays. Il est un fait certain que le Singapour dispose dans son système institutionnel d’un ministère central de l’économie, d’une bureaucratie forte, d’une stabilité politique et d’un leadership politique visionnaire. Les autorités ont pu faire un excellent usage de l’aide publique au développement dirigé vers ses infrastructures. Cette aide a été pourvue abondamment par le Japon, la Banque Mondiale et la Banque Asiatique de Développement. Nous avons remarqué que l’aide au développement peut être efficace dans la mesure où elle est bien gérée.


Facteur social :
Les sociétés asiatiques sont beaucoup plus homogènes que celles de l’Amérique Latine, même si la population de Singapour est composée de Chinois et de Malaisiens, la cohabitation entre ces deux races est très positive. . L’hétérogénéité en Amérique latine débouche sur des inégalités criantes et une société au bord de l’explosion, ce qui crée toujours des instabilités. La configuration sociale dans cette analyse s’avère importante. Dans tous ces pays asiatiques que l’on appelle les « tigres », les ressources ont été gérées par des Etats qui ont misé sur l’éducation et sur la santé de leurs populations. Ces sociétés demeurent bien moins inégalitaires que d’autres régions du monde.


Comment a commencé ce succès :
Dans les années 1950, les indicateurs économiques d’Haïti étaient plus positifs que ceux de la Corée du sud. C’est à partir de 1960 que les Coréens ont opté décisivement pour une stratégie d’industrialisation par l’exportation. Le Japon en est le précurseur. Pour faire un schéma des différentes étapes de ce processus, ces pays ont premierement initié une réforme des structures agraires qui augmentera substantiellement leurs rendements agricoles. Par la suite, ils ont développé une industrie de main d’œuvre peu qualifiée au début. Dans les années 1970, le Japon, Hong Kong et le Singapour ont atteint une industrialisation maximale. Chacun de ces pays se sont spécialisés à la conquête d’un marché mondial qui lui offre des débouchés sans limites. A partir de la, ils ont commencé à conquérir une position dominante dans une ou plusieurs industries particulières.

  • * Le Japon - L’industrie de la photographie
  • * Singapour- Le leader mondial des disques durs pour ordinateurs personnels
  • * Hong Kong – Leader du jouet électronique
  • * Corée du Sud – Leader des téléviseurs
  • * Taiwan– Console d’ordinateurs
En d’autres termes, ces pays se sont positionnés pour renverser la donne économique dans leur région et il leur a fallu 30 ans pour y arriver. Ce n’est pas la démocratie, mais plutôt la dictature progressiste qui a réussi le décalage économique de ces pays. La grande différence entre ces deux entités coloniales, l’ancienne puissance coloniale asiatique (Japon) a été plus généreuse et plus solidaire que ne le furent les européens.

Avec la crise financière actuelle, le japon a mis une ligne de crédit de près de 63 milliards pour toute la zone pour empêcher qu’on déstabilise l’économie de la région. Ce faisant, le Japon reste un chien de garde pour l’économie de la région car il ne voudrait pas perdre ces économies émergeantes. On ne peut pas dire autant pour les Etats Unis et le reste de l’Amérique, au contraire. A la question comment de tels résultats ont-ils été obtenus, Casanova de la Revue Express a écrit « Le marché a joué un rôle décisif pour orienter l’économie, mais les gouvernements ne sont pas restés passifs. Ils ont subventionné, protégé, financé quand il le fallait. Jamais cependant au détriment de l’efficacité, de l’investissement privé, de l’équilibre des finances publiques et de la stabilité monétaire. Ils ont respecté tout un cadre économique orthodoxe à savoir très peu d’inflation, des taux d’intérêt réels pas trop élevés, mais toujours positifs, guère de déficit public. » Les Asiatiques ont répudié trois doctrines européennes, l’impérialisme, le communisme et le socialisme et ont su inventer leurs propres voies de développement et de progrès.


Tout d’abord pourquoi ne pas développer une collaboration avec Singapour et le Japon? Haïti a besoin de se doter des moyens susceptibles de lui permettre de sortir du cercle vicieux de l’assistance et d’être les artisans de son propre développement. Le Japon a facilité l’émergence de géants, de dragons et de tigres économiques en Asie, peut-être pourrait-il nous aider à rééditer ce succès chez nous à travers un plan Marshall. Plusieurs de ces pays avaient rompu avec le cercle vicieux du sous-développement et avait retrouvé leurs propres voies vers la croissance. Maintenant qu’Haïti est en train de végéter dans un sous développement chronique, peut-être ne devrions-nous pas chercher une recette pour notre pays ? Que pouvons nous tirer comme leçon du modèle culturel et par rapport à Haïti, est ce que ces facteurs peuvent jouer un rôle aussi dans notre société.


Quels sont les avantages tirés par Haïti de la coopération avec le Taiwan à part quelques millions de dollars alimentant les comptes personnels des présidents ? Pourtant le Taiwan fait bien partie des tigres asiatiques qui ont un succès économique avéré. Haïti ne pourrait-il pas mieux bénéficier de leur modèle économique, de leur modèle de gestion ou quelques aspects de leur système gouvernemental ? Pourquoi les autorités haïtiennes se contentent-elles des miettes de Taiwan en rétribution du vote d’Haïti en faveur de ce pays au lieu d’une coopération au développement, d’investissement ou de conseils techniques? Il est clair que le type de coopération qu’on a avec le Taiwan nous rapporte très peu en termes d’expertise et d’appui technique. Cette relation est purement politique et bénéficie non pas le pays mais le président de la république. Le gouvernement haïtien, inepte en matière de diplomatie et de relations internationales, et mendiant de mentalité n’a jamais tenté d’évaluer le pouvoir économique et géopolitique de la Chine et les avantages qu’on peut tirer d’une coopération chinoise ou Japonaise par rapport à une coopération Taïwanaise.


Au regard de l’influence chinoise qui commence à gagner l’Afrique qui n’est pas sous leur tutelle, on peut constater que les Chinois comme les Japonais peuvent être de meilleurs alliés que des occidentaux. Les Japonais veulent essayer de rééditer leur succès asiatique en Afrique. Déjà, les Africains l’interprètent comme un intérêt à exploiter leurs ressources alors que les Japonais ont investi leur expertise industrielle en Corée tout en développant leur région. En me demandant comment nous pouvons profiter des facteurs du miracle asiatique, je prends l’exemple de la Russie qui à travers leur Président Putin a forgé un modèle de marché autoritariste similaire à celui de la Chine. Ce modèle a occasionné une croissance économique qui n’existait pas sous la présidence démocratique de Boris Yeltsin. Il est établi donc que la croissance marche avec une série d’ajustements non démocratiques et des sacrifices qui peuvent s’avérer nécessaires pour la stabilité et la croissance économique. Les succès de Putin ont augmenté sa popularité et les Russes ont établi que l’autocratie a un avenir contrairement au triomphe de la démocratie libérale. Ce qui intéressait les Russes c’était la transformation de leur économie et le fait qu’ils vivaient mieux.


En Haïti, les problèmes sont multiformes et complexes car on n’a pas seulement une main d’œuvre non qualifiée, mais un taux de pauvreté et d’analphabétisme exagéré et incomparable à ces régions. Nous savons que pour renverser cette situation, il nous faudra compter avec une croissance économique soutenue. Or, depuis plus d’une décennie nous titubons avec une démocratie imposée et qui ne marche pas. Est-ce parce qu’elle ne marche pas qu’on nous l’impose ou est ce qu’on nous l’impose parce qu’on espérait qu’elle marcherait ? Le résultat prouve que cela ne marche pas et que nous devrions comme Putin et Singapour forger notre propre modèle oùles avantages de certains principes démocratiques mélangés avec les rigueurs nécessaires d’une autocratie nous aideraient à créer une nouvelle société et ainsi nous lancer dans un développement économique viable. Pour cela, nous avons besoin de grands visionnaires avec de grandes idées et l’expertise qu’il faut qui mettraient l’accent sur le respect des lois, la croissance économique et la stabilité, et non pas une multitude de partis politiques populaires de gauche ou de droite ou du centre sans vision ou ambitions pour le pays. Comme au Singapour, il faut faire place à nos génies en Haïti qui pourront transformer leur vision en succès économique. Le développement d’Haïti et de son peuple passe d’abord par un développement économique. Le débat est ouvert!